Le témoignage de Lucy
Avertissement (TW) : transphobie, LGBTQphobie.
Dans le cadre de la sortie de Les violences dont vous êtes…, nous avons discuté avec Lucy, une femme trans, qui a accepté de nous parler de la transphobie qu’elle subit au quotidien et des impacts, petits et grands, que l’expérience de ces violences ont dans sa vie.
En entrevue virtuelle sur la plateforme Zoom, Lucy évoque l’omniprésence des micro-agressions dans sa vie quotidienne : « Moi, j’ai toujours en tête que je suis trans. J’ai toujours des éléments de la vie qui sont là pour me le rappeler. » Les efforts déployés quotidiennement pour éviter les situations propices aux violences transphobes constituent pour elle une source constante de stress.
« Juste aller au dépanneur acheter du lait, on va faire attention, s’assurer de mettre une robe. Un minimum de mascara. On a toujours cette pression-là. » En comparaison, les personnes cis (les personnes dont le sexe assigné à la naissance correspond à leur identité de genre), n’ont pas à constamment performer leur genre pour éviter ces micro-agressions, et les gens n’ont pas conscience de cette réalité.
Cela dit, malgré ces tentatives pour passer inaperçue, Lucy précise que, surtout pour les femmes trans, une autre donnée vient augmenter leur vulnérabilité aux violences quotidiennes : « Ça va être la voix. Moi, quand je me retrouve au téléphone, c’est sûr que je me fais mégenrer! »
Se faire mégenrer, c’est se faire appeler « Monsieur » quand on est une femme, par exemple. Le poids de ces expériences devient très lourd à la longue. « C’est trop angoissant de faire un appel. On se coupe carrément. Moi, j’utilise pas mon téléphone, jamais presque! »
Mais les expériences de transphobie vécus par Lucy ne se limitent pas au mégenrage.
« Je suis une personne trans, et je suis aussi une maman. »
Lucy est la maman de deux jeunes enfants, âgés de 9 et 14 ans.
« Quand on est parents, on a quotidiennement à aller porter et chercher nos enfants, dealer avec la direction, le service de garde, les professeurs. (…) Ça multiplie les occasions de violence, vraiment. »
La parentalité est l’aspect de sa vie où Lucy a vécu le plus de violence et de transphobie. « Mes enfants ont fait trois écoles en tout, et mon plus jeune, le CPE. À tous ces endroits-là, j’ai vécu des violences. »
Des exemples? « J’ai moi-même subi une agression physique et verbale de la part d’un directeur. »
C’était un jour de pluie et Lucy avait reçu l’autorisation d’une professeure pour entrer dans l’école et aller porter le manteau de pluie à son plus vieux. « Pis là, le directeur m’a interpellée en disant « Monsieur, monsieur! « . Mais moi je ne répondais pas parce que… genre… »
Lucy ne répondait pas, parce qu’elle n’est pas un « Monsieur ».
« Jusqu’au moment où il m’a vraiment prise par l’épaule en tirant mes vêtements et en continuant de m’appeler « monsieur » pis en disant « On s’en fout, monsieur-madame » pis » t’as pas le droit d’être à l’école! « . »
« C’était vraiment violent. »
Suite à cette altercation, Lucy a fait une plainte à la commission scolaire, mais le processus n’a pas porté fruit. « L’aboutissement final c’était : « On vous propose de faire une rencontre avec lui, pour que vous vous expliquiez ». Ça s’est arrêté là. C’est vraiment insultant. (…) Pourtant, c’est un directeur qui est très problématique. Il a fait vivre beaucoup de misogynie aux profs femmes. »
En gros, on a demandé à Lucy de rencontrer la personne qui l’avait mégenrée à répétition, invalidée et agressée physiquement afin qu’elle puisse entendre ses justifications. Pas d’excuse ni de réparation. Évidemment, elle a refusé.
Le pire dans tout ça? Le manque de reconnaissance. « C’est une violence par ricochet, explique Lucy, parce qu’il y a l’agression, mais il y aussi le fait, trois ans plus tard, de s’apercevoir qu’il est toujours en poste et qu’il continue d’avoir des comportements problématiques avec les profs femmes, avec les élèves jeunes. »
Pour Lucy, cette expérience a surtout mis en lumière tout le poids qui est placé sur les épaules des victimes d’agressions en tout genre.
« C’est important d’arrêter de tomber sur le dos des personnes marginalisées et leur dire « Portez plainte, portez plainte! « . »
« Porter plainte, c’est un processus difficile qui, souvent, n’aboutit pas à la justice. C’est dur de croire que ça vaut la peine. Avec toute l’énergie que ça prend, pour finalement être invalidée… c’est rough! »
Mais ça ne s’arrête pas là. Le plus jeune enfant de Lucy, âgé de 9 ans, est non conforme dans le genre. Lucy raconte que les innombrables occurrences de discrimination et de transphobie dont son enfant a été victime à l’école, non seulement parce qu’il a une maman trans, mais aussi parce qu’il ne correspond pas lui-même aux stéréotypes de genre, ont eu des très grands impacts dans leur vie familiale.
« On a changé de quartier, changé d’école, parce que là, c’était plus possible. Il n’y avait aucune reconnaissance de son genre. Aucune écoute, aucune réceptivité. »
« Ils prenaient même les devants pour nous dire genre : « Venez pas nous demander de mettre des toilettes neutres ou des choses comme ça parce que ça va être impossible. » On se faisait couper l’herbe sous le pied. »
« C’est un milieu encore très fermé, les écoles, les commissions scolaires, c’est un milieu très peu sensibilisé qui est encore très cisnormatif, très hétéronormatif, donc c’est dur. »
Malheureusement, changer d’école n’a pas suffi à essouffler la transphobie quotidienne vécue par l’enfant de Lucy. Par contre, la situation sanitaire liée à la COVID-19 et son effet sur le système scolaire a amené une nouvelle donnée pour la famille de Lucy.
« Cette année, on fait l’école à la maison. »
« Ça a été une décision qui s’est faite rapidement à l’automne, à cause de la pandémie, mais en soulageant aussi d’autres maux liés à la transphobie. »
Mais dans ce quotidien ponctué par les micro-agressions, est-ce qu’il y a des situations qui se passent bien?
« Je prends beaucoup de taxis pour aller travailler. J’ai une application avec mon prénom, donc les gens, quand j’ouvre la porte, ils disent « Bonjour madame Lucy « . Là, je m’assois dans le taxi pis je suis tranquille pour ma route. »
En terminant, Lucy explique qu’il peut être très simple, même lorsque l’on fait des erreurs, de démontrer que l’on fait des efforts pour avoir des comportements respectueux. Le plus important, souligne-t-elle, c’est de reconnaître que l’on a blessé la personne et de s’assurer de changer ses comportements.
« Quand c’est des excuses sincères avec un passage à l’action après, dans ce temps-là, c’est la vie, pis on continue! »
Les violences dont vous êtes…
Les violences dont vous êtes…, c’est un jeu en ligne dont l’objectif est loin d’être ludique. Le jeu interactif s’attaque à la difficile tâche de sensibiliser le public aux différentes violences quotidiennes et micro-agressions vécues par les personnes LGBTQ+. Ces types d’agression sont difficiles à démontrer car, prises une par une, ce sont des situations qui peuvent paraître banales. Cependant, lorsque vécues de façon répétées, l’effet cumulatif de ces expériences prend une toute autre dimension. C’est pourquoi Interligne invite les internautes à se glisser dans la peau de différentes personnes au moment de vivre différentes formes de violences.
Si vous êtes victime de violence ou si vous connaissez une personne qui en subit, si vous cherchez des ressources pour vous venir en aide, communiquez avec notre ligne d’écoute. Notre équipe d’intervention est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par téléphone, texto et clavardage!
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