5 questions sur le racisme sexuel

Avec Khaled Kchouk

Averstissements (TW) : racisme, LGBTQphobie.

Dans le cadre du lancement de Les violences dont vous êtes…, nous avons cherché à éclaircir la notion de racisme sexuel sur les applications de rencontre. Pour ce faire, nous avons discuté avec Khaled Kchouk pour explorer le sujet de la thèse qu’il signait en 2020 à l’université d’Ottawa, intitulée Corps privilégiés, corps repoussés : étude exploratoire du racisme sexuel et de l’exclusion sur le cyberespace de rencontre gai.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le racisme sexuel?

« Le racisme sexuel, c’est une forme de racisme qui a un impact sur la sexualité, la sphère intime et la sphère interpersonnelle », explique Khaled au tout début de notre rencontre Zoom. Il précise qu’il y a trois composantes principales au racisme sexuel : les stéréotypes ethnosexuels, qui réfèrent à des attentes et des préjugés liés à l’attribution de caractéristiques sexuelles sur la base de la race; le rejet d’une personne sur la base de sa race; et la fétichisation, qui se définit comme une préférence sexuelle motivée par la race d’une personne.

Pour certaines personnes, la fétichisation est considérée comme un compliment. Pourquoi est-ce que c’est raciste?

« La fétichisation, ça revient à centrer son intérêt sur des caractéristiques de l’individu, et non pas sur l’individu en tant que tel. C’est problématique parce que ça vient en plus avec tout le passé colonial, ça renvoie à tout ce qui est exotique et à tout ce qu’on peut fétichiser chez les personnes racisées. »

Il explique que la fétichisation est vue comme un compliment principalement par les personnes blanches, mais que parfois, certaines personnes racisées pourront vivre la fétichisation dont elles font l’objet comme une expérience positive et jouer là-dessus. « Du moins, au début! tient à nuancer Khaled. » Effectivement, certaines personnes ne se rendent pas tout de suite compte qu’elles font l’objet d’un fétiche. La prise de conscience peut venir plus tard.

« On peut faire un compliment en ayant une bonne intention, précise-t-il, mais quand on comprend mieux les dynamiques de pouvoir, c’est là qu’on voit qu’en fait, c’est raciste. »

Qu’est-ce qui fait en sorte que le racisme sexuel est aussi présent dans le cyberespace?

Khaled mentionne tout d’abord qu’au courant des dernières années, un véritable travail de fond visant à rendre invisible le racisme est à l’œuvre dans nos sociétés. En général, on a appris à cacher le racisme dans nos différentes interactions, à réduire son caractère explicite. « Le racisme est devenu plus dissimulé. On va le voir dans les conversations, dans des choses indirectes ou implicites. »

Cela dit, Khaled soutient que le racisme devient plus visible sur les applications de rencontre qui permettent la mise de l’avant de ses trois composantes : le rejet (no black, no asian), la fétichisation (ici pour trouver arabes) et les stéréotypes (cherche asiatique soumis). Pour expliquer ce phénomène, il énumère deux raisons principales. Premièrement, le sentiment d’impunité procuré par le fait d’être derrière un écran. « Avec tout ce qui est sur Internet, dans le virtuel, il y a une désinhibition de la parole. Les gens n’ont pas l’autre personne en face. Parfois, ils se cachent même derrière un profil sans information. Les gens se sentent plus à l’aide de dire des choses racistes. »

Ensuite, il pointe du doigt le manque d’espace de rencontre sécuritaire dans le réel. « Les personnes qui sont à la fois racisées et pas hétéros n’ont pas autant d’occasions pour aller parler à quelqu’un comme on s’adresserait à quelqu’un sur Grindr, par exemple. » Cela contribue à une plus grande présence sur les applications virtuelles, ce qui, en soi, augmente les chances de vivre du racisme.

Cependant, Khaled ne manque pas de préciser que, suivant la même tendance que le racisme en face à face, « le racisme sexuel a un peu évolué dans sa façon de s’afficher sur les applications de rencontre. Si on prend des archives de Grindr, des profils d’il y a 10 ans, on voyait beaucoup de No black, No asian etcétéra. Aujourd’hui, on peut le voir, mais c’est plus rare. » Plus rare, mais plus hypocrite?

Comment est-ce qu’on peut expliquer qu’au sein de communautés déjà marginalisées (les communautés LGBTQ+), il y ait autant de racisme?

« Le racisme n’a pas d’identité, lâche Khaled, tout le monde peut être raciste, les personnes gaies, les personnes queers aussi! »

« Quand je faisais le recrutement pour mon étude, souvent, je suis tombé sur des personnes blanches qui disaient : « Mais du racisme chez les gais? Ça n’existe pas. On est déjà gais, comment est-ce qu’on peut être racistes? » C’est un questionnement qui est légitime, mais je pense que réellement quand on ne subit pas des oppressions, on n’arrive pas à voir les choses de la même façon que ceux qui subissent les oppressions. »

Ainsi, même si ça peut sembler contre-intuitif que les membres de communautés déjà opprimées perpétuent des systèmes d’oppression, Khaled est catégorique : « Le racisme structurel présent dans la société est reproduit au niveau interpersonnel, au niveau micro. Être membre d’une minorité ne fait pas en sorte que tu n’es pas raciste. » Au contraire, faire partie d’une communauté marginalisée peut amener à fermer les yeux sur le racisme car il est parfois difficile de se percevoir comme une personne qui est à la fois opprimée et oppresseure.

En tant que personne blanche, pourquoi est-ce que dire qu’on a une préférence pour les personnes blanches sur les applications de rencontre, c’est raciste?

Khaled explique que les gens ont tendance à se bloquer lorsqu’on leur fait remarquer que ce qu’ils font est raciste. « Les gens se bloquent et se disent « Ça veut dire que je suis raciste! » Mais ce n’est pas nécessairement la meilleure position à avoir. Quand quelqu’un te dit que ce que tu dis ou fais, c’est raciste, il faut se questionner, se demander pourquoi et changer de comportement avant de se bloquer. »

En parlant des profils d’applications de rencontre, Khaled continue : « Il y a des personnes qui vont cacher leur racisme par la mention de préférences ou de recherche de similarité. » Il s’agit d’une tactique pour rendre le racisme moins explicite. Il y en a d’autres pour qui ces critères semblent réellement vécus comme des préférences et qui ne se verront pas comme racistes.

« Par exemple, ils vont dire « Moi j’ai une préférence pour les gars blancs« . Ok, pourquoi? Il faut leur demander pourquoi. Souvent, on va te répondre « Je sais pas, c’est naturel« . » Sauf que ce n’est pas naturel, « c’est une préférence qui est socialement construite. En général, la personne pour qui on a une préférence, c’est le standard de beauté : le gars blanc, plus ou moins poilu, plus ou moins musclé… mais qui est de race blanche. »

« Dans les pays qui ont été colonisés par des pays blancs, il y a cette pensée-là qui vient de la colonisation qui dit que plus on est blanc, plus on est beau. Il y a des personnes qui se font blanchir la peau. On tend tous à aller vers les gars blancs. C’est ça qu’il faut questionner. »

Khaled conclue : « Il faut amener les gens à questionner leurs préférences, à prendre conscience que ce n’est pas naturel, qu’on n’est pas nés avec. »

Les violences dont vous êtes…

Les violences dont vous êtes…, c’est un jeu en ligne dont l’objectif est loin d’être ludique. Le jeu interactif s’attaque à la difficile tâche de sensibiliser le public aux différentes violences quotidiennes et micro-agressions vécues par les personnes LGBTQ+. Ces types d’agression sont difficiles à démontrer car, prises une par une, ce sont des situations qui peuvent paraître banales. Cependant, lorsque vécues de façon répétées, l’effet cumulatif de ces expériences prend une toute autre dimension. C’est pourquoi Interligne invite les internautes à se glisser dans la peau de différentes personnes au moment de vivre différentes formes de violences.

Si vous êtes victime de violence ou si vous connaissez une personne qui en subit, si vous cherchez des ressources pour vous venir en aide, communiquez avec notre ligne d’écoute. Notre équipe d’intervention est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par téléphone, texto et clavardage!

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